Le dossier Snowden
Luke Harding2014

AVANT-PROPOS

EDWARD SNOWDEN est l'un des plus extraordinaires lanceurs d'alerte de l'histoire. Avant lui, personne n'avait jamais recueilli en masse les fichiers top secret des plus puissantes agences de renseignement du monde pour les rendre publics. C'est ce qu'il a fait.
Ses compétences sont sans précédent. Avant l'avènement de cette génération d'as de l'informatique, nul n'aurait imaginé qu'il soit possible de subtiliser l'équivalent, sous forme numérique, du contenu des armoires à archives et des coffres fermés à triple tour de bibliothèques entières - des documents par milliers et des mots par millions.
Remarquables sont également les raisons qui ont poussé Snowden à agir ainsi. Il a entrepris de révéler au grand jour les agissements véritables de la National Security Agency américaine (NSA) et de ses alliés. En l'état actuel des choses, tout semble prouver qu'il ne l'a pas fait par appât du gain - alors qu'il aurait pu vendre ces informations à des services de renseignement étrangers pour des millions et des millions. Il n'a pas non plus été animé par des idées gauchistes ou marxisantes qui pourraient amener à le définir comme anti-Américain. Bien au contraire, c'est un fervent défenseur de la constitution des États-Unis et, comme bon nombre de ses confrères «hacktivistes», un partisan de Ron Paul, cet homme politique libertarien dont les idées se situent très à droite de celles de nombreux Républicains.
Ce qu'a dévoilé Snowden est d'une importance capitale. Ses fichiers prouvent que les méthodes employées par les agences de renseignement responsables de l'espionnage électronique ont échappé à tout contrôle, en grande partie à la suite de la panique politique qui a envahi les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.
Affranchis de toute entrave d'ordre légal et urgemment sommée de garantir la sécurité des États-Unis, la NSA et son partenaire britannique, le GCHQ (Government Communications Headquarters] (secrètement alliés aux géants de l'internet et des télécommunications qui contrôlent le hardware) ont mis à profit toutes leurs ressources technologiques pour «contrôler internet». C'est leur formule, pas la nôtre. Tout ce qui relevait du contrôle démocratique, étouffé par le poids du secret, s'est révélé extrêmement vague et, à l'évidence, totalement insuffisant.
Résultat : le monde entier se retrouve espionné. Les technologies dont l'Occident a clamé qu'elles feraient la force des libertés individuelles et de la démocratie - Google, Skype, les téléphones mobiles, le GPS, YouTube, Tor, le e-commerce, les banques en ligne et tout le reste - sont devenues des appareils de surveillance qui auraient stupéfait George Orwell et son 1984.
Le Guardian a été, et j'en suis heureux, le premier organe de presse libre à publier les révélations de Snowden. Nous avons considéré qu'il était de notre devoir de briser le tabou du secret, tout en veillant, comme le désirait Snowden, à la sécurité des individus ainsi qu'à la préservation des documents les plus sensibles en matière de renseignement.
Je suis fier que nous ayons agi ainsi. Des débats acharnés ainsi que des demandes de réformes ont émergé dans le monde entier : aux États-Unis, en France, au Brésil, en Indonésie, au Canada, en Chine, en Australie, jusque dans la si déférente Grande-Bretagne. Le Guardian a finalement été contraint de publier tout cela de son bureau de New York, à cause du harcèlement judiciaire des autorités britanniques. Je pense que ceux qui liront ce livre comprendront, une fois qu'ils l'auront terminé, à quel point il serait essentiel d'introduire au Royaume-Uni un équivalent du premier amendement de la constitution des États-Unis, qui protège la liberté de la presse. Cette liberté est une liberté qui nous protège tous.

Alan Rusbridger
Rédacteur en chef du Guardian
Londres, février 2014

Titre original : The Snowden files (2014)