Castor de guerre
Danièle Sallenave2008

« J’ai suivi le déroulement des Mémoires sans m’y soumettre ; lui imposant des pauses à ma convenance, rompant son rythme implacable pour prendre le temps d’aller vers d’autres œuvres du Castor, lettres, romans ou essais qui, à ce moment-là, donnaient à son portrait un relief nouveau ; je me suis arrêtée là où il m’était dit de passer vite ; j’ai pris le temps de circuler librement dans telle partie ou telle autre partie de son œuvre, la voyant surgir où je ne l’attendais pas, où elle ne s’attendait pas à être découverte. Lui faisant toujours crédit mais ne prenant rien pour argent comptant ; résolue, selon la maxime de Descartes, à « révoquer en doute » ce que je n’aurais pas soigneusement examiné, et même deux fois plutôt qu’une ; examinant les traits dans leur épaisseur, leur tremblé, découvrant des ratures secrètes, des marques presque invisibles de choix, de repentirs, comme on lit à l’envers, sur un buvard, les jambages d’une écriture déjà sèche. » En lisant l’œuvre de Simone de Beauvoir comme elle le fait, Danièle Sallenave mène avec elle le dialogue engagé et parfois houleux que toute œuvre d’importance réclame, rendant toute sa résonance à cette femme de lettres qui a combattu sans relâche pour l’émancipation des femmes et des peuples. Comment lui rendre autrement hommage ? Attentive aux contradictions, aux reprises, aux silences, aux aveux volontaires ou non, aux omissions, aux arrangements mêmes que l’auteur n’a pas craint d’apporter par son œuvre à sa vie, elle la confronte tantôt avec elle-même et le reste de son œuvre, tantôt avec l’histoire de son temps. Un portrait qui fait saisir au lecteur l’urgence qu’il y a à lire Simone de Beauvoir aujourd’hui.