Lost Highway de David Lynch : Le purgatoire des sens
Guy Astic2004

Lost Highway est un diamant noir dont l'obscure clarté illumine le firmament du cinéma depuis vingt-cinq ans. À l'image de l'hôtel perdu au bout d'une route surgie de nulle part, investi par des morts ou des disparus qui refont surface, le film de David Lynch a tout du purgatoire. Purgatoire pour les personnages égarés qui n'arrêtent pas de passer les frontières de mondes incompatibles ; purgatoire pour les corps en souffrance, dont Lynch surexpose la vulnérabilité pour mieux exploser la matière physique, l'explorer et accéder à la texture même des images et des bruits ; purgatoire pour le spectateur embarqué dans une traversée audiovisuelle inédite, lâché dans une expérience totale qui lui fait ressentir le poids de l'accidentel (le néant) et la force de l'essentiel (la profondeur) sans avoir vraiment les mots pour le dire ; purgatoire, enfin, pour Lynch qui atteint là une forme de pureté artistique dans l'intensification de chacun des moyens d'expression mis en œuvre. Bréviaire vertigineux de la perception,Lost Highway plonge dans l'intimité de l'image hallucinée ou hyperréaliste pour amener la sensibilité à s'ouvrir. De la couleur au montage sonore, de la distorsion narrative à la déroute logique et psychique, le film investit l'art de l'impossible (à la manière des créations de Francis Bacon), où règnent la tension, l'excès et la discontinuité. Abstraction et figuration ne cessent de s'aimanter et de se repousser, dans un déploiement d'énergie formelle d'autant plus retentissante qu'elle a pour cadre un monde essoufflé, une histoire déprimée. Lost Highway, c'est un ravissement sensoriel projeté sur les écrans de toute nature