La dernière expédition - morceau choisi

 
    • Wivik_Seb-Astien

      Livraddictien débutant

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      #1 24 Avril 2024 21:40:03

      Bonjour tout le monde !

      Aujourd'hui je vous partage un extrait de mon deuxième livre, intitulé La dernière expédition (Fiche Bibliomania).

      Pourquoi pas le premier chapitre comme les précédents me direz-vous ? Et bien en fait, j'ai relu récemment cet ouvrage et si c'est un de ceux que j'apprécie le plus, je n'aime pas le premier chapitre. L'écriture de ce livre était tombé dans un cas dont j'ignore si celui-ci est courant ou exceptionnel pour un auteur, mais je n'arrivais pas à bien le démarrer. Je savais dès le départ comment le conclure et développer l'histoire (je commence souvent par écrire l'épilogue en fait), mais trouver une introduction me satisfaisant fut difficile. Je pourrai vous le partager quand même si vous le souhaitez. En attendant, voici un morceau choisi que j'ai bien aimé rédiger. Ici, le protagoniste, un écrivain historien de formation en train d'écrire la biographie d'un célèbre explorateur, découvre de curieux objets trouvés par celui-ci au court de ses entreprises. Juste avant cette scène, le personnage eut une mésaventure avec un des ordinateurs de la salle des archives qui refusa de lui éditer les résultats de ses recherches.

      N'hésitez-pas à me dire ce que vous en pensez :)




      Le lendemain, j’étais en route pour la boutique de Holm. Par chance, elle se trouvait aussi à Augusta, à l’autre bout de la ville.

      À bord du tramway me conduisant au plus proche de son emplacement, je feuilletais mes diverses notes issues de l’entrevue avec Isabelle Van Enhoorte et faisais des parallèles avec les maigres informations que la stupide machine avait bien voulu me distiller. Il y avait clairement un trou dans le récit de la vieille dame, et dans l’époque où elle fut titularisée à l’Université comme professeur d’archéologie.

      Van Enhoorte père est officiellement décédé en 2020 à l’âge de soixante-treize ans, soit la même année que l’obtention de son poste de professeur titulaire. Cependant, un article que j’avais pu obtenir faisait état d’un report de cette nomination en septembre 2020 pour raisons de santé. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’eus soudainement une révélation. Une épiphanie j’oserais même dire. Une évidence que l’historien de formation que je suis aurait du percevoir, car devant mon nez depuis le début mais j’étais resté aveugle pendant toute cette durée.

      Aucun document ne mentionnait la date exacte de la mort de Nigel Van Enhoorte.

      Ni le jour, ni le mois ne sont indiqués.

      Comment ai-je pu manquer quelque chose d’aussi énorme ?

      En relisant mes différentes notes, je remarquai plusieurs faits notables durant l’année 2020 : décès de Van Enhoorte père, décès de Robert Worthstram, et titularisation d’Isabelle Van Enhoorte. J’eus également retrouvé un article de presse de juillet 2020 qui parlait d’un accident dans lequel Francis Van Enhoorte avait été impliqué. Je trouvai que cela faisait beaucoup d’événements importants pour une seule année, et qu’aucun d’entre eux n’était précisément daté. Seulement une période vague, voire pas du tout.

      Mon fil de pensée fut interrompu lorsque le tramway indiqua que j’étais arrivé à destination. Je notai précieusement ces corrélations dans mon carnet et quittai la rame.

      Le cabinet de curiosités de Holm n’était qu’à quelques pas de l’arrêt, dans un quartier plutôt calme qui était à mi chemin entre le résidentiel et le commerce. J’arrivai devant son enseigne et observai la modestie de cette devanture. Pas de fioritures, pas de grande pancarte.

      « Musée de curiosités Holm »

      Cela en était presque austère.

      J’entrai dans la boutique, car c’est comme ceci que j’eus qualifié ce petit bazar d’objets en tout genre dont une bonne partie était à vendre, et commençai à en faire le tour. Plusieurs objets dans ces vitrines bien fermées me parlaient. J’avais eu l’occasion de les voir durant mon parcours universitaire en Histoire. Notamment en photo et dans des articles. Une bonne partie de la collection provenait de la galerie Worthstram, qui a depuis fermé, et le reste semble avoir été obtenu en parcourant le monde.

      Au hasard d’un présentoir sous verre en plein milieu de l’échoppe, je tombai sur le fameux « appareil photo ». Objet intriguant s’il en est car effectivement, moi-même je fus incapable de déchiffrer les symboles écrits sur ce boîtier noir fait dans une curieuse matière opaque. Cela dit, je n’avais pas spécialement de prétention en matière de langage ancien. La forme de l’objet rectangulaire et ce cylindre en plein milieu rappelaient bien un appareil photo. Mais il n’y avait pas de boutons de déclenchement, ni de molette pour dérouler le film, ni d’autres réglages comme nous avions l’habitude d’en voir. Au lieu de ça le dos de l’appareil avait juste une surface noire réfléchissante et deux curieux points blancs légèrement lumineux autour de ce qui semblait être son objectif. Le boîtier était plutôt abîmé tout en étant dans un impressionnant état de conservation. Quelques traces et impacts dessus, mais globalement il semblait être un artefact ancien dans un très bel état. La fiche d’information sous le présentoir indique qu’une étude du seul matériaux ayant pu être identifié, une sorte de métal, le daterait d’environ cinq millénaires.

      Millénaires ?!, m’exclamai-je intérieurement.

      Assurément, la collection de Holm est vraiment intéressante. J’avais cependant noté des articles qui contestaient l’authenticité de certains de ses artefacts. Mais en les voyant de mes yeux, j’émis des doutes quant à la teneur de ces accusations.

      En poursuivant ma découverte de son magasin, je remarquai l’originalité de ses étalages. La plupart des antiquaires avaient des babioles plutôt conventionnelles : des chandeliers, de la vaisselle ancienne, des objets de décoration, des tableaux, ou encore des œuvres d’art. Si ce genre d’objet restait présent dans cette collection, le reste leur faisait de l’ombre. Holm avait réussi à dénicher de nombreux trésors anciens qui semblaient comme provenir d’un autre monde tellement ils étaient singuliers.

      Outre cet « appareil photo », d’autres bizarreries et incongruités étaient présentes. Ici, j’observai ce que la fiche située en dessous qualifiait de « montre inerte ». En effet, cela ressemblait à une montre que l’on porterait à son poignet pour lire l’heure ou aussi la date selon les modèles de plus ou moins haute gamme. C’était un petit boîtier argenté, avec la même sorte de dalle vitreuse réfléchissante qu’au dos de « l’appareil photo » qui composait la quasi totalité de sa surface. Un bracelet la traversait par l’arrière et tout laissait indiquer qu’il s’agissait d’une montre, ou alors d’un bijou y ressemblant. On pouvait distinguer comme une sorte de bouton sur le côté. D’après la description, l’objet était considéré comme « inerte » car malgré plusieurs études de la part d’ingénieurs et de bijoutiers, elle n’avait livré aucun secret. Le boîtier semblait comme fermement scellé et personne n’osa le démonter de peur de casser cette « montre ».

      De mon côté, je trouvais que cet objet avait de sacrés similitudes avec le fameux « appareil photo ».

      J’entendis la porte de la boutique s’ouvrir et remarquai quelqu’un entrer. Sans doutes un autre curieux. J’aurais même plutôt dit un excentrique, sa tenue vestimentaire quelque peu dépareillée et son chapeau de type fedora vissé sur la tête avaient un côté inhabituel. Il portait une veste de costume aux manches raccourcies et, derrière celle-ci, une chemise à fleurs d’un goût fort discutable dont la moitié du haut était déboutonnée, laissant apparaître de loin son torse velu. Après une furtive observation, je retournai à la découverte des curieux objets qui constituaient la collection de Joakim Holm, me disant que ce genre de personnage devait probablement être le client typique.

      Plus loin, dans une autre vitrine, mon regard fut attiré par une autre incongruité qui me rappela les propos d’Isabelle Van Enhoorte. « L’objet rectangulaire lumineux », me souvins-je. De loin, ce nouvel artefact collait à la description. Mais il n’était pas si lumineux. Il avait les mêmes caractéristiques que la « montre inerte », une forme rectangulaire dont la surface brillante aurait pu laisser penser à un miroir de poche si celle-ci n’avait pas été aussi obscure. Il était exposé à hauteur d’homme et je pouvais voir mon visage se refléter dedans. Au milieu de l’arête supérieure de l’objet se trouvait un intriguant cercle avec comme une sorte de lentille en verre à l’intérieur. De chaque côté, un cercle blanchâtre se dessinait. C’était incroyablement petit. La fiche descriptive parlait de « miroir éclairant ». Il avait l’air en bon état malgré de vilaines griffures sur la surface. Le contours était gris métal, le matériaux semblait même en être.

      « Souhaitez-vous des renseignements ? », entendis-je doucement derrière moi. Je me retournai et vis un homme âgé d’une soixantaine d’année au visage souriant. Ses cheveux étaient gris et hirsutes ce qui contrastait avec son costume bien dressé et droit. Il portait de fines lunettes légèrement teintées.

      « Monsieur Holm ? », demandai-je.

      Je n’avais vu qu’une seule photo de lui et il était encore étudiant.

      « Oui, c’est bien moi, le propriétaire de ce modeste établissement », me répondit-il avec une grande cordialité, « vous m’avez l’air bien intéressé par ce miroir éclairant ».

      « Est-ce vraiment un miroir ? En quoi est-il éclairant ? », questionnai-je sceptique par la supposée utilité de ce drôle de rectangle brillant.

      « C’est en tout cas la seule propriété qu’on lui ait trouvée malgré plusieurs analyses et études de la part d’experts », m’expliqua-t-il sur un ton très professionnel.

      Joakim enfila des gants en tissu blanc et ouvrit la vitrine pour sortir le précieux objet. Il le tenu dans sa main gauche puis passa délicatement son doigt sur le bord supérieur de l’artefact. Les deux points blancs situés de chaque côté du cercle central se mirent à briller comme des lumières. Pas de doutes, il était éclairant. En orientant la surface réfléchissante vers mon visage, il me fit observer que l’éclairage émis par la partie supérieure permit de me voir dedans de manière plus nette que lorsqu’il était éteint.

      « Fascinant », m’exclamai-je, « comment cette lumière est-elle émise ? Je ne vois pas d’emplacement pour des batteries, c’est comme s’il avait une source interne mais comment pourrait-elle être encore active vu son âge supposé ? »

      « C’est là tout le côté mystérieux de ce petit objet cher monsieur ! », s’amusa Holm.

      « Oh », lâchai-je confus après m’être rappelé pourquoi j’étais venu ici, « j’avais oublié, je m’appelle Alexandre Carezzo et je suis venu car j’écris actuellement un livre au sujet de Nigel Van Enhoorte. »

      « Ah, intéressant », remarqua Holm sur un ton enjoué. Tout semblait fasciner ce soixantenaire.

      « J’ai récemment rencontré sa fille, Isabelle, et elle m’avait conseillé de vous voir car vous auriez dans votre collection des objets curieux ramenés par son expédition avortée dans la brume », introduis-je à mon interlocuteur.

      « Absolument. Et c’est précisément celui que je tiens actuellement dans ma main », confirma-t-il brandissant la chose inconnue.

      « Que pouvez-vous me dire quant aux circonstances de sa découverte ? », demandai-je.

      « À dire vrai, pas grand chose je le regrette. Il fut donné par Isabelle Van Enhoorte à la galerie Worthstram quelques années après la mort de son père. Après qu’elle se soit remise de son accident qui arriva peu de temps avant sa titularisation comme professeur d’archéologie. J’avais au l’occasion d’être étudiant dans sa promotion, c’était une femme fascinante, au même titre que son père. Vraiment très passionnés. »

      « Un accident me dites-vous ? Je n’ai eu aucune information à ce sujet. Il me semblait avoir vu qu’elle fut titularisée plus ou moins dans la même période que la mort de Van Enhoorte », questionnai-je intrigué.

      « En effet, elle eut un accident dont je ne serais pas capable de vous expliquer la nature durant cette année. Je ne sais plus si cela s’est produit au même moment ou non, mais le décès de son père a du venir comme un cumul ce qui a retardé sa titularisation. L’année 2020 fut témoin de tragédies avec ça et aussi l’internement d’un de ses assistants en psychiatrie. Il semblait avoir perdu la raison plus ou moins au même moment. »

      « Ah oui ? De qui s’agissait-il ? », m’empressai-je de savoir.

      « Rafael Hernandez, un ancien étudiant de Van Enhoorte qui avait participé à deux de ses expéditions je crois. Il était brillant et passionné, tout autant que l’explorateur, mais il sombra dans une curieuse démence peu de temps après la mort de ce dernier. J’avais pu le rencontrer car il était son assistant durant certains cours. Quelle tristesse. »

      « Pensez-vous que cet homme soit encore en vie ? »

      « Je crois qu’il est sorti de l’asile une paire d’années après. Je ne sais pas ce qu’il est devenu », s’excusa Joakim Holm.

      Je pense tenir un nouveau témoin. Je notai cette piste dans mon carnet puis enchaînai avec un autre sujet.

      « Lorsque je me suis entretenu avec Isabelle Van Enhoorte, elle m’avait évoqué un objet rectangulaire lumineux, or si celui-ci émet certes des petites lumières, ce n’est pas non plus quelque chose de très lumineux. Êtes-vous certain qu’il s’agit bien là de ce dont elle m’avait parlé ? »

      « Absolument », confirma de nouveau très sûr de lui Holm, « J’ai pu l’étudier à la galerie avant de le récupérer lorsqu’elle fut en liquidation. L’organisme ne s’est jamais vraiment remis de la mort de Worthstram. Quelle tristesse, deux grandes personnalités décédées au même moment », déplora Holm.

      Il continua son témoignage en me disant que l’artefact était accompagné de notes d’études indiquant qu’il semblait comme fabriqué d’une seule pièce car il ne laissait pas apparaître de jointure. En dehors des petites lumières qui s’allument et s’éteignent en passant le doigt sur l’arête supérieure, les ingénieurs et experts en bijouterie n’ont su lui trouver une quelconque utilité.

      À ce moment-là, le client qui était entré tout à l’heure interrompit le gérant des lieux.

      « En fait, il suffit de le toucher au bon endroit pour le voir faire sa magie », dit-il sur un ton malicieux.

      « Vraiment ? », demanda curieux comme un enfant crédule Holm, « vous connaissez cet objet ? »

      « Cela fait longtemps que je n’en ai pas vu en vrai, ils sont très rares, mais ce n’est pas un miroir ni un accessoire, c’est bien plus intelligent que ça », expliqua l’homme sur un ton à la fois moqueur et professeur tout en levant son index. Je crus voir là une caricature.

      En observant ce client excentrique je notai un détail qui me perturba. Sur son torse apparent je vis une cicatrice qui me rappela l’homme que j’avais bousculé quelques jours auparavant en quittant la demeure Van Enhoorte. J’ai souvent du mal à croire aux coïncidences et celle-ci me parut encore plus improbable.

      « Vous permettez ? », demanda l’homme en tendant son doigt vers l’objet, « je ne veux pas le prendre, juste vous montrer quelque chose qu’aucun d’entre vous ne semble avoir remarqué en l’analysant. »

      « Allez-y », répondit Holm en tendant l’objet à ce curieux client qui ne m’inspirait pas confiance. Je trouvais le vieil homme bien imprudent.

      « Tenez-le bien car il ne faudrait pas le faire tomber », dit le client juste avant de poser son doigt sur l’arête droite, en haut de celle-ci, pendant quelques secondes. Holm tenait fermement l’artefact dans ses deux mains, appliquant les conseils de l’homme.

      « Aaah ! Mais ça vibre ! », cria de surprise Holm tout en s’assurant de bien conserver entre ses mains sa précieuse antiquité. J’entendis un petit son provenir de ce bidule qui semblait aussi inerte que la montre de tout à l’heure, comme une vibration, très succincte. On aurait dit une abeille qui venait de prendre son envol pour se poser immédiatement après. Mais Holm avait manifestement ressenti une vibration.

      Une seconde après cet effet de surprise, la surface réfléchissante de l’objet devient subitement blanche et lumineuse sous nos yeux ébahis. Non, ce n’était pas un miroir, ça ne pouvait l’être, cette surface brillait comme un écran d’ordinateur et semblait chercher à afficher quelque chose. Un court instant passa et l’écran blanc s’assombrit légèrement. Une sorte de pictogramme rouge apparut dessus, clignotant. Au dessus un autre dessin qui nous était totalement étranger se présenta. Ce que j’aurais qualifié de mots ou d’écrits présents en dessous de ces curieuses images me rappelait les symboles sur « l’appareil photo ». Au bout d’une minute, la lumière émise par la surface disparut et l’artefact redevint éteint.

      « Mais, mais, mais », balbutia Holm en se tournant vers le client, « comment vous saviez ça ?! Qui êtes vous ? »

      « Hahaha », rigola gentiment l’excentrique personnage, « je suis juste en train de faire un petit voyage et j’étais de passage dans le coin. Comme j’aime visiter ce genre de cabinet de curiosités et que j’avais eu l’occasion de voir un appareil dans ce genre ailleurs, je me suis dit que ça vous aurait intéressé », expliqua-t-il.

      « Où avez-vous vu un autre appareil de ce genre ? En le qualifiant d’appareil vous voulez dire que c’est comme une petite machine ? », demandai-je soudainement à ce type qui ne m’inspirait pourtant pas confiance.

      « Oui c’est un appareil électronique », confirma le client en vadrouille, « j’en ai vu un similaire dans la région des Karpaty », poursuivit-il.

      « Est-ce que vous connaissez sa réelle fonction ? », quémanda Joakim Holm au client qui semblait être un fin connaisseur.

      L’homme ne répondit pas et se contenta de hausser les épaules et sourire. Ou bien il ignorait l’utilité de cet étrange appareil, ou bien il n’allait pas nous le dire.

      « M. Holm, savez-vous où cet objet a été trouvé ? », tentai-je pour en savoir plus.

      « Hélas non », déplora le collectionneur, « Je sais que la galerie Worthstram l’avait récupéré quelques années avant que je n’intègre leurs effectifs et il était mentionné qu’il avait été trouvé lors d’une exploration de Van Enhoorte. Mais l’endroit n’était pas indiqué. »

      « Et vous dites en avoir vu un du même genre dans la région des Karpaty ? », fis-je me tournant vers l’excentrique voyageur.

      « Oui. »

      « Où ? »

      « Un patelin proche des montagnes, je ne me rappelle plus de son nom », conclut l’homme en fuyant du regard et en se grattant la barbe du doigt.

      Je grommelais intérieurement car mon instinct me dictait que ce type en savait plus qu’il ne voulait le faire croire. Il me fallait donc changer de sujet.

      « M. Holm, vous avez été étudiant dans les promotions où Nigel Van Enhoorte enseignait me semble-t-il. Sauriez-vous sur quoi il travaillait après l’expédition avortée dans la brume ? », questionnai-je de manière très professionnelle.

      « Oui, en effet, le vieux Van Enhoorte continuait d’enseigner après cette aventure qui avait mal tournée. Je sais aussi qu’il voulait aussi planifier une dernière expédition avec sa fille, ses assistants, et certains de ses étudiants, avant de prendre sa retraite », raconta Holm.

      « Vraiment ? Car sa biographie indiquait qu’il n’avait plus rien entreprit jusqu’à son décès », m’étonnai-je.

      « À vrai dire cela n’est pas surprenant car je crois que cette dernière entreprise n’a rien donné ou n’a même pas été jusqu’au bout. Je ne sais pas trop car je n’étais pas dans ce cercle d’étudiants privilégiés qui passaient du temps avec Van Enhoorte. Je me souviens cependant que lui et sa fille m’avaient convié pour me demander si cela m’intéressait car j’étais déjà très passionné par les objets anciens. »

      Holm fit soudainement une pause comme s’il eut une révélation.

      « Oh mais bon sang, cet objet là, cet appareil’ à en croire notre ami ici présent. D’ailleurs où est-il ? », remarqua Holm.

      Le client excentrique avait disparu, mes questions devaient l’avoir ennuyé.

      « Bref, cet appareil’ je m’en souviens finalement, la première fois que je l’ai vu c’était Isabelle qui me l’avait montré. Je m’en rappelle bien maintenant, elle voulait avoir mon avis dessus »

      « Et qu’en aviez-vous pensé à cet époque ? », demandai-je.

      « C’était il y a longtemps et la plupart des détails m’échappent, mais je ne pense pas avoir été d’une grande aide. Si pendant toutes ces années nous avions crus que c’était un bête miroir qui faisait de la lumière, l’étudiant que j’étais n’aurait été guère plus malin », confessa Holm.

      « En fait », poursuivit le vieux collectionneur, « je pense qu’il y a bien quelqu’un qui saurait vous en dire plus sur cette dernière expédition. Mais je ne sais pas s’il sera en capacité de le faire… »

      « Qui ? », insistai-je.

      “Rafael Hernandez”, me répondit Holm.

      « Cet assistant de Van Enhoorte qui a séjourné en psychiatrie ? », m’inquiétai-je.

      « Oui, il a eu une traversée du désert et sombra soudainement dans une folie irrationnelle. Il témoignait de faits bizarres et incompréhensibles. C’est ce que j’ai entendu dire, je n’ai jamais réellement été au contact de cet homme en dehors des moments où il participait aux cours donnés par Van Enhoort », raconta Holm.

      « Mais s’il reste quelqu’un encore en vie, à ma connaissance, en dehors de ses héritiers pouvant vous aider, c’est bien lui », termina Holm.

      « Très bien, je pense que je vais donc devoir m’intéresser de plus près à ce monsieur Hernandez. Merci beaucoup pour votre témoignage M. Holm. »

      « Vous m’avez fait remonter plein de vieux souvenirs qui étaient enfouis depuis longtemps, merci à vous M. Carezzo ! », répondit joyeusement le collectionneur.

    • Wivik_Seb-Astien

      Livraddictien débutant

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      #2 29 Avril 2024 17:38:08

      Finalement, voici le premier chapitre :)




      Pendant très longtemps, l’auteur et historien de formation que je suis a toujours été fasciné par la vie de Nigel Van Enhoorte. Ce géographe et explorateur mort il y a presque une quarantaine d’années fut à l’origine de nombreuses découvertes. Grâce à ses travaux, une bonne partie de notre monde pu être cartographiée et le mystère de plusieurs régions inconnues fut levé.

      Mon éditeur avait accepté l’idée de ce nouveau livre qui devait raconter la vie et les exploits de Van Enhoorte. J’avais été plutôt surpris qu’il me fasse de nouveau confiance car mon précédent ouvrage sur l’histoire du transport ferroviaire ne s’était pas très bien vendu. Confusion du public me disait-il. Cet ouvrage parlait des trains, de leur utilisation, de leur impact sur la société, de leur histoire, de leur évolution, de leur développement. Mais je pense que le public voulait plutôt que je parle du train. Cette machine géante qui fait inlassablement le tour du monde et nous permet de relier les régions les plus éloignées de notre planète. Comment écrire un bouquin sur quelque chose que tout le monde connaît mais sans réellement le connaître ? La seule personne qui s’y essaya devint la risée du monde scientifique et son troublant ouvrage L’ingénierie humaine fut conspué par la critique.

      Van Enhoorte était né en 1947 selon les informations officielles à son sujet diffusées par la société qui fut gérée par ses héritiers, Francis et Isabelle Van Enhoorte. On pouvait également retrouver ce fait dans les diverses encyclopédies. Il est mort à l’âge de soixante-treize ans en 2020, soit il y a un trente-neuf ans. Les exploits qu’on lui attribue furent la première cartographie du continent gelé d’Australis, l’exploration du désert Mugulu, ou encore la découverte de l’île Malagasy. Souvent, il mit à jour d’anciennes ruines, d’habitations, mais aussi de populations qui voyaient peu fréquemment des personnes étrangères malgré le passage du train à quelques centaines de kilomètres de là. Le train fut d’une grande aide pour Van Enhoorte car sa longue portée lui permettait d’organiser ses expéditions et ses déplacements. Selon les documents à son sujet, sa dernière expédition fut lorsqu’il tenta de percer la région de la brume et qu’il dû rebrousser chemin.

      Ce qui me fascinait chez ce personnage, c’était son incroyable capacité à planifier des entreprises d’exploration sans jamais réellement savoir dans quoi il se plongeait. Évidemment, il était soutenu et financé par la prestigieuse Université d’Augusta, celle où je fis mes études d’Histoire aussi, et il avait donc accès à une logistique très développée. Ses entreprises étaient également sponsorisées par des sociétés privées avec notamment de la fourniture de matériel qu’il soit scientifique ou utilitaire. Il était également très entêté dans ses recherches et des témoignages laissaient entendre qu’il pouvait être insupportable pour ses équipes.

      Moi ce qui me surprenait, c’est qu’un homme avec un tel palmarès ait fini sa carrière sur un échec. Son exploration avortée de la brume fut une cuisante défaite.

      L’histoire raconte que l’entreprise avait été montée après d’âpres négociations avec ses différents sponsors et fournisseurs. Jamais personne n’avait rien pu faire là bas, les instruments étaient aveugles, l’humain l’était tout autant. Dans les mémoires que l’entreprise Enhoorte diffusait à son sujet, il était dit que l’homme restait intimement convaincu qu’il y avait quelque chose dedans et qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un phénomène inexplicable. Mais je me méfiais toujours des témoignages relayés par l’entreprise que firent tourner ses héritiers avant de prendre eux-même leur retraite. Ils me donnent souvent l’impression de vouloir profiter de l’aura et de la réputation de leur père pour faire fructifier leurs affaires. D’ailleurs ils le disent eux-même, la dernière expédition ne fut pas un échec mais riche en enseignements. À vrai dire, de mon point de vue, la seule leçon qu’ils en ont tiré et qu’il n’y avait rien à apprendre de plus. Van Enhoorte avait pu faire cartographier l’étendue de cette région, mais ça s’arrêtait là. La carte restait une vaste page blanche entourée de montagnes ou de crevasses.

      En tant qu’auteur, j’ai tendance à partir de la fin de mon récit pour m’assurer qu’il soit cohérent de bout en bout. De ce fait, la première partie de mon enquête fut au sujet de la dernière expédition de Van Enhoorte dans la région dite de la brume.

      La région de la brume est un endroit aussi fascinant qu’il est inconnu. Tous les livres d’Histoire et toutes les encyclopédies le disent depuis la nuit des temps de l’écriture humaine : cette région est une vaste étendue de rien. Pour être plus précis, c’est une zone d’environ six-cent milles kilomètres carrés, telle qu’elle fut cartographiée au fil des années par ses frontières, pour laquelle on ignore absolument tout ce qui pourrait s’y trouver, si d’aventure il y avait bien quelque chose dedans. Elle est constamment recouverte d’une épaisse masse cotonneuse similaire à un brouillard, d’où son nom de « région de la brume », qui est tellement dense que l’œil humain ne perçoit rien. L’autre caractéristique du phénomène est que cette purée de pois émet une forme de lueur permanente qui donne l’impression d’un mur blanc luisant. Cela est d’autant plus déroutant qu’elle fait perdre la notion de jour et de nuit une fois là bas.

      Dans les mémoires officielles de Van Enhoorte, la région de la brume était décrite ainsi :

      « Une immense étendue qui se dresse entre l’Héral, Maia et se termine vers la région des Karpaty. Aucun explorateur n’a su par quel bout prendre l’étude de cette zone car après seulement un pas dedans, on se retrouve submergé et enfermé dans un cercueil immaculé tellement épais que vous ne pourrez même pas voir vos propres pieds. Tendez votre bras, et vos doigts disparaîtront dans le néant blanc. Sa luminosité surnaturelle trompe votre vue et peut même déclencher des crises d’épilepsie pour les personnes les plus sensibles. Bien qu’il s’agisse d’un écran monochrome, vos yeux ne pourront s’empêcher de générer des formes et votre cerveau interprétera ces signaux sous la forme d’une profonde détresse et d’un malaise. Entrer dans la brume, c’est comme pénétrer dans une pièce confinée qui isole tous vos sens. Votre vue se met à imaginer des formes. Votre ouïe devient inutile car le moindre son est étouffé par cette matière en suspension dont la densité n’est pourtant pas avérée. Même votre sens du toucher est perdu car il vous fait ressentir l’étrange sensation d’être immergé dans un liquide. Il ne règne pourtant aucune humidité dans cet endroit, votre bouche et votre nez seront constamment secs. Rester trop longtemps dans cette zone présente même de forts risques car un atroce effet d’apnée vous prendra. Bien que l’air y soit parfaitement respirable et qu’aucun des relevés chimiques n’ait jamais émis de contre-indication, votre corps se retrouvera rapidement en panique et vous sentirez l’air s’extraire de vos poumons sans pouvoir y revenir. »

      – Mémoires de Van Enhoorte chapitre 13

      Si les Mémoires de Van Enhoorte étaient un bon point de départ pour mon livre à son sujet, il ne s’agissait pas non plus de stupidement le paraphraser. De plus, cette source n’était pas forcément la plus impartiale. Mon intention était plutôt de retracer la vie du célèbre explorateur en m’attardant sur les points que sa biographie officielle n’avait pas forcément détaillés.

      En effet, j’avais beau avoir lu et relu ce livre, je restais tout de même sur ma faim concernant diverses passages. La plus célèbre exploration de Van Enhoorte fut celle du continent gelé d’Australis, où des vestiges d’une civilisation ancienne furent découverts et des traces montrant que l’endroit n’a pas toujours été une terre inhospitalière glacée. Mais la biographie officielle omettait l’étape de préparation de cette entreprise. C’était pourtant l’un des aspects les plus passionnants de son histoire car l’homme préparait tout cela d’une manière incroyablement méticuleuse et précise.

      L’autre élément qui me perturbait concernant ses mémoires était la fin de l’expédition dans la brume. Je ne pouvais décemment pas croire que cela fut la dernière entreprise qu’il lança avant son décès. L’aventure dans cette région inaccessible eut lieu dix ans avant sa mort. Elle fut interrompue de manière prématurée car l’expédition ne put rien obtenir malgré les équipements avancés dont elle disposait.

      Grâce à ses nombreux sponsors, Van Enhoorte arrivait à obtenir du matériel de pointe pour l’analyse topographique des sols et leur représentation numérique. La plus avancée qu’il utilisa s’appelait la TALD, pour Télédétection par Analyse de la Lumière et Distance. La description de cet outil était formidable. Il s’agit d’une tête de détection installée sur un trépied tournant rapidement sur elle-même. Grâce à l’évaluation de la distance et du temps que met la lumière à parcourir la zone, l’ordinateur produit une représentation tridimensionnelle du terrain observé. La première utilisation de cette technologie par l’entreprise de Van Enhoorte fut lors de l’exploration d’Australis qui permit de mettre en évidence la présence de structures d’origine humaine sous la glace. Un nouvel usage notable fut la tentative de visiter la région de la brume, mais l’outil fut incapable de produire quoique ce soit. La nature incompréhensible du phénomène avait donné une simple bouillie à l’écran. Les points partaient dans tous les sens, le système n’arrivait à rien évaluer.

      Il me restait donc de nombreuses interrogations quant à ces deux expéditions. Fort heureusement, la bibliothèque de l’Université d’Augusta est très bien fournie et les bases de données qui sont à disposition du public fourmillent de renseignements.

      Les premières sessions de travail sur place me permirent de dresser le plan de mon récit. L’une de mes premières priorités fut d’identifier des témoins avec qui je pourrais m’entretenir au sujet de l’explorateur. Malheureusement, il ne reste pas beaucoup de collaborateurs qui l’ont connu de son vivant qui soient encore de ce monde.

      Mes deux premières cibles ont, de toute évidence, été Francis et Isabelle Van Enhoorte, héritiers de l’entreprise familiale mais aussi proches associés de leur père.

      Francis est l’aîné de ses deux enfants. Contrairement à son père, il n’avait pas embrassé de carrière scientifique mais plutôt journalistique. Il fut reporter photo pour plusieurs journaux et couvrit également les expéditions de son père. Grâce à un habile jeu de contrats d’exclusivité, Francis était le seul photographe autorisé durant les entreprises menées par le patriarche. De ce fait, il revendait les droits d’utilisation des photographies et des récits qui en découlaient et cela finançait l’entreprise familiale. Malin.

      Isabelle est le second et dernier enfant de la famille. Elle poursuivit la voie scientifique de son père et devint une archéologue experte dans l’étude des anciennes civilisations. Elle a mené durant toute sa carrière de nouvelles expéditions de recherche via l’entreprise dont elle a hérité avec son frère. Sa découverte la plus notable fut celle d’une antique cité de pierre à Tipersis, dans la région verdoyante de Gyptios. Elle était enfouie sous terre depuis des millénaires et grâce à l’aide de moyens techniques très sophistiqués, ce lieu retrouva la lumière du soleil.

      Parmi les autres collaborateurs émérites de Van Enhoorte, j’ai pu recueillir le nom de Robert Worthstram. Ce n’était pas un scientifique mais un homme d’affaires, investisseur l’un des principaux soutiens financier de l’entreprise. Il fut le propriétaire d’une galerie d’arts non loin de l’Université d’Augusta dans laquelle les artefacts issus des expéditions de l’explorateur étaient exposés. Hélas, mes recherches à son sujet se sont vites interrompues car il est décédé plus ou moins en même temps que Van Enhoorte dans un accident d’escalade d’après les informations que j’ai pu obtenir à son sujet. Néanmoins, la galerie Worthstram était à priori toujours en activité malgré une mauvaise passe il y a quelques années. Elle serait toujours enrichie par les travaux des héritiers de l’explorateur, je pense qu’il y aura donc matière à obtenir des informations sur mes sujets d’enquêtes.

      Je ne sais pas si c’était à cause d’une certaine négligence ou par désintérêt pour ces personnes, ce qui en soit fut regrettable pour elles, mais les documents de l’Université concernant les recherches de Van Enhoorte ne mentionnaient pas les autres participants de ses entreprises. Il était pourtant généralement accompagné de ses plus proches étudiants qui souhaitaient enrichir leur cursus grâce à une de ses expéditions. Ce fut d’ailleurs l’un des tremplins de la carrière de sa propre fille. C’était vraiment dommage de ne pas mentionner les autres participants. Les jeunes de cette époque avaient de fortes chances d’être encore en vie de nos jours pour obtenir un témoignage de leur part.

      Le deuxième jour de mon enquête, je ne pus poursuivre bien longtemps. Les ordinateurs de la bibliothèque Universitaire d’Augusta étaient pour la plupart en maintenance. J’ai du recourir à une lecture à l’ancienne le temps que les immenses bases de données documentaires soient copiées une à une sur ces machines. Visiblement c’était un des étudiants de la discipline informatique qui s’en chargeait. De ma fenêtre, j’avais l’impression qu’il s’agissait d’une tâche ingrate. Je n’y connais pas grand chose dans le domaine, mais je le voyais se déplacer d’un poste à l’autre, brancher un appareil qui devait être un stockage portable, attendre de longues minutes, le débrancher, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il fit le tour des machines.

      Si les livres restent un excellent support de conservation et transmission d’information, et l’Université d’Augusta pouvant se vanter d’avoir des ouvrages très anciens dans sa collection, l’outil informatique était tout de même formidable pour la recherche documentaire. Il me suffit de saisir ce que je veux, par exemple « liste des collaborateurs de Nigel Van Enhoorte », et la machine me retourne une synthèse de l’information ainsi que les nombreux ouvrages de référence qu’elle a en mémoire. Elle est même capable de résumer et trier les résultats en produisant des tableaux et listes de valeurs très pertinentes. Cela m’a beaucoup aidé pour construire le plan projet de mon enquête.

      Après trois jours d’étude et de recherche à la bibliothèque Universitaire d’Augusta, mais aussi dans d’autres sources documentaires, mon plan d’action était désormais dressé.

      Mon sujet principal concerne les dernières années de la vie de Van Enhoorte, après l’échec de l’expédition dans la région de la brume. Pour moi, cet homme n’était pas du genre à abandonner au moindre obstacle fusse-t-il compliqué à surmonter, et il n’allait pas se tourner les pouces pendant une décennie avant son décès. Il a forcément fait quelque chose, ou bien sa santé avait probablement décliné et il s’était retiré. Les biographies officielles ne disent rien à ce sujet en dehors du fait que Nigel Van Enhoorte est mort en 2020 en se consacrant jusqu’au bout à l’étude des artefacts découverts au fil de ses aventures, pouvait-on lire dans ses Mémoires. D’ailleurs, au sujet de ce livre, il n’était pas contemporain de l’explorateur mais écrit après. Probablement à partir de morceaux de récit que l’homme a du laisser au fil de sa vie.

      Mes prochaines étapes sont donc claires : aller rendre visite aux héritiers Van Enhoorte pour tenter d’obtenir plus d’informations sur les interludes de la vie de leur père.